Brigitte Gloire

Hugues Dupriez, c’était, il y a 40 ans, d’abord l’auteur du livre « Paysans d’Afrique Noire ». Etudiants en agro, son titre nous avait titillé. Nous l’avions donc invité pour nous parler d’autre chose que de rendements, d’intrants et de cultures de rente et nous fûmes conquis. Nous rencontrions enfin quelqu’un qui nous présentait les hommes et les femmes paysan(ne)s comme les véritables nourricier(e)s de l’Afrique et non comme des communautés vivant en marge du progrès et des grandes plantations. Nous découvrions d’autres horizons que ceux du Mémento de l’agronome ou des nombreux documents techniques des agences de coopération. Et c’est peu dire que Hugues inocula ce jour-là  chez certains d’entre nous, le virus de l’empathie paysanne. Un virus qui produisit de nombreux anticorps parmi lesquels, la défense de la souveraineté alimentaire la décennie suivante et une méfiance salutaire vis-à-vis des itinéraires techniques occidentaux.

Nous nous sommes ensuite recroisés lors d’un recrutement – dans un beau jardin à Nivelles – pour un départ en Guinée-Bissau. Et c’est sur le terrain, au milieu des rizières et dans les champs voisinant les villages que nous avons pris toute la mesure de l’importance du côté visionnaire de Hugues. Dans ce pays où – comme dans beaucoup d’autres – la majorité de l’aide était orientée vers des cultures d’exportation ou des modes de production alimentaire non soutenables (à l’époque on disait « non appropriés »), nous avons été émerveillés par la sophistication de la riziculture du peuple Balante et la richesse des variétés locales conservées dans les villages. Ses livres « Agriculture tropicale » et « Eaux et terres en fuite »étaient en bonne place à côté des ouvrages de Belloncle « Le chemin des villages » et de Bernard Lecomte. Ouf, on pouvait travailler, nous étions outillés…..

3 ans plus tard et durant de longues années, nous avons beaucoup discuté pendant les comités projet d’Oxfam et les réunions de suivi, à Bruxelles et au Burkina, des dossiers de financement des plateformes Diobass. C’était parfois très « chaud » mais on voulait tellement tous y arriver ! Car oui, Hugues, c’était aussi un prénom qui résonne un peu comme une ponctuation de chef indien dans Lucky Luke. Hugh ! Avec un mélange de fierté et de certitudes qui pouvait parfois hérisser mais aussi, et le plus souvent, inspirer.

Hugues nous a, littéralement, ouvert les yeux sur les véritables gardiens de notre terre nourricière. Et à l’heure où cette terre continue de saigner de pratiques prédatrices, toxiques, voire carrément vénales, son combat et ses travaux sont – plus que jamais – d’actualité. On pourrait même, en ces temps bousculés où des mots tabous sont redevenus à la mode, les qualifier d’utilité publique et pourquoi pas….de carrément essentiels.

Brigitte Gloire, mars 2021