09 Juin Hugues Debolster
Au départ je t’ai connu à travers tes premiers livres, tes réflexions sur le développement dans « Paysans d’Afrique noire » ou la mise en lumière de la richesse des agricultures paysannes et leurs techniques dans la première édition de « Agriculture tropicale et exploitation familiales d’Afrique ». Puis nous nous sommes rencontrés par nos engagements et avons partagé ensemble l’aventure Diobass.
Tu étais plus qu’un collègue. Un complice ? Un mentor ? Un ami ? Sans doute un peu de tout cela. Tu étais un homme à la pensée féconde et tu savais la partager avec les gens en qui tu faisais confiance. Tu disais toi-même parier sur des personnes, sur des jeunes, sur des forces que tu estimais porteuses dans le monde du développement, du livre, des idées. Et tu leur donnais ta confiance. J’ai eu cette chance. Te côtoyer des années durant m’a appris à mieux observer le monde, à considérer les situations avec un regard systémique, à les analyser en décalant et en multipliant les points de vue, à bousculer les idées toutes faites…
Comprendre la vie de l’arbre avant de lutter contre la déforestation !
Ne pas finir les réponses avant d’avoir posé les questions !
Voir une fois, vaut mieux que parler cent fois !
Poussière aux pieds vaut mieux que poussière au derrière !
Tu défendais la paysannerie, ses savoirs et ses savoir-faire mais tu étais loin de tomber dans le traditionalisme ! Bien au contraire, chez Diobass, notre credo était de métisser les savoirs paysans et les connaissances scientifiques. Et peu importe si la science ne venait pas aux champs, nous encouragions les paysans à franchir les portes des centres de recherche ou de vulgarisation. Forts de leurs expériences, de leurs observations et de leurs connaissances, les « paysans-chercheurs » allaient y recueillir des informations, des savoirs ou des inspirations pour poursuivre leurs travaux, renversant de la sorte l’ordre établi. Ce qui t’amusait beaucoup. Après tout, ces institutions, ces techniciens et chercheurs ne sont-ils pas au service des forces productives paysannes ? Au service du développement ? Tu associais avec bonheur les termes « conscience et confiance ». Plus tard j’ai travaillé sur la construction des savoirs avec des populations fragilisées en Belgique et j’ai salué ton intuition. Elle m’a régulièrement servi pour construire des processus d’apprentissage basé sur la prise de conscience par les personnes de leurs capacités et de leurs progrès. Ce qui les amenait à développer leurs capabilités et nourrissait leur confiance en eux.
Sans oublier la fête… Nos voyages, nos ateliers se clôturaient habituellement par un moment de célébration ! Du théâtre, de la musique, de la danse, et même un jour une course cycliste ! Je me souviens de la fin d’un atelier dans la forêt du Mayombé où j’avais recruté des musiciens venus des collines pour égayer la dernière soirée d’un vaste atelier. Ta confiance était contagieuse mais j’avoue que lorsque j’ai vu les musiciens débarquer avec leurs instruments, j’ai douté. Non pas de leur talent mais de leurs instruments, guitares ou basses, bricolés de planches et de câbles de vélo, de pièces aussi incongrues les unes que les autres. Jusqu’au moment où ils ont commencé à jouer leur musique du Bas-Congo, teintée de sonorités que l’on retrouve chez Bonga ou dans certaines mélodies brésiliennes, et que la foule s’est animée sur leurs rythmes plus qu’entraînants !
Hugues, tu m’as tant donné ! Tu as fondamentalement changé mon regard et mon rapport au monde. Tu as beaucoup compté pour moi et malgré ton caractère confrontant et parfois exaspérant, je t’étais si attaché que tu continues à vivre en moi, dans mes pensées. Je sais ne pas être le seul que tu as inspiré par tes idées et ta personnalité. Nous sommes nombreux à être « tes fils ou tes filles » comme on dit au Burkina… Je n’ai pas les mots pour t’en remercier alors je les emprunte à Giono, à « L’homme qui plantait des arbres », clin d’œil aussi à ta passion pour eux, à la nature, à l’écologie.
« Pour que le caractère d’un être humain dévoile des qualités vraiment exceptionnelles, il faut avoir la bonne fortune de pouvoir observer son action pendant de longues années. Si cette action est dépouillée de tout égoïsme, si l’idée qui la dirige est d’une générosité sans exemple, s’il est absolument certain qu’elle n’a cherché de récompense nulle part et qu’au surplus elle ait laissé sur le monde des marques visibles, on est alors, sans risque d’erreurs, devant un caractère inoubliable. »