Sylvain Mapatano

L’homme, notre relation et l’empreinte de son travail

En janvier 1988, j’intégrai une jeune équipe au sein de l’ONG ADI-Kivu qui venait de voir le jour quelques mois auparavant. Hugues avait collaboré avec cette équipe dans le cadre de l’étude sur les causes de la malnutrition au Kivu au sein de SOLIDARITE PAYSANNE, financée par Frères des Hommes une ONG Française ,.

En arrivant, j’ai été chargé du Service de renforcement Agricole des organisations paysannes dans les différents pôles de travail de ADI-KIVU. Pour donner un contenu à ce service, ADI-Kivu a recouru aux services de Hugues Dupriez pour accompagner l’équipe, et moi en première ligne parce qu’il fallait bien que quelqu’un continue le travail du consultant sur le terrain.

Voilà comment nait ce contact avec celui qui va devenir un coach pour de nombreuses années.

Au fil des contacts, j’ai appris de lui beaucoup de choses :

Sur l’homme, je retiens qu’il était Un homme « Out of the box !». Toujours très révolté face aux règles et impératifs administratifs, il a été très souvent incompris par les administrations. Je l’ai surtout  vécu lorsqu’il il fallait négocier avec les partenaires financiers dont les procédures l’agaçaient. Combien de fois je l’ai vu en incompréhension avec les fonctionnaires à la DGCD/DGD ou même avec les responsables d’ONG belges lors de nos discussions. Lors des ateliers que nous avons animés avec lui, une réclamation quasi régulièrement de la part des participants, très souvent les cadres techniques, était celle des horaires de travail et des perdiems. Ceci a souvent été à la base des malentendus, créant parfois des situations de tensions entre l’équipe pédagogique et les participants aux ateliers. Heureusement, tout ceci se réglait toujours dès que les interlocuteurs comprenaient l’esprit de la démarche Diobass. Les pires moments ont été, l’atelier de formation organisée à Thiès au Sénégal, lors d’un cycle de formation des cadres techniques en Afrique de l’Ouest, mais aussi à Kangu dans la Province de Bas-Congo (aujourd’hui Congo Central) en RDC. Gérer ensemble ces crises liées au fait que les techniciens sortent de leur confort habituel car habitués à une certaine façon de faire, a participé à renforcer nos liens de collaboration et notre complicité pour l’organisation de nombreux événements.

Comment être agronome dans une communauté rurale, différent des anciens agronomes dont on connait les pratiques et les méthodes de triste mémoire. En plus d’être un acteur social engagé, l’approche méthodologique a fait l’objet d’un important travail pour m’aider à  passer de l’ agronome qui a la solution à l’agronome qui aide à analyser les faits, à affiner l’observation et à rechercher avec les concernés, les pistes de solutions adaptées à leur culture et à leur économie. 

Comment cultiver l’indépendance et l’autonomie des organisations paysannes. Il n’arrêtait pas de me dire « vous devez arriver à une certaine indépendance technique ». Non à la vulgarisation des messages prédigérés, oui à la cocréation des connaissances à travers les brigades de recherche (pour utiliser un terme militaire qu’il adorait) qui se mobilisent autour des problèmes que rencontrent les paysans. Tout ceci pour montrer non seulement son engagement, mais aussi une certaine fouge, un appel à une révolution mentale face à l’orgueil que procure l’école occidentale et qui créé malheureusement un complexe aussi bien chez ceux qui en sortent que chez ceux qui sont censés en bénéficier.

Comment pérenniser ce travail. Avoir écrit autant de livres techniques et divers documents de capitalisation garanti la pérennité de ses convictions. Hugues sera toujours avec nous à travers ces écrits et avec les générations futures qui ne l’auront pas connue. Il y a rarement des livres technico-méthodologiques aussi précieux sur l’agriculture familiale africaine et le développement rural en général.

Mieux encore, l’investissement humain n’a pas été négligeable. L’après Hugues devrait nous réveiller à fédérer nos forces autour des principes méthodologiques qui ont conduit notre action commune jusque là. Il sera sans doute difficile de remettre sur pied Diobass, Ecologie et Société à cause de nombreuses contraintes. Il est néanmoins possible d’identifier les personnes, en Afrique et en Europe qui se reconnaissent dans la méthodologie et les principes portés par Hugues et développés dans ses ouvrages pour au moins commencer une réseau virtuel d’échange, pas très structuré. Ce noyau pourrait se définir des objectifs plus précis et un mode de fonctionnement approprié qui soit souple et pratique.

Au Kivu, la Plate-forme Diobass a identifié un site qu’il va dédié à Hugues à Kakono, 55 km de Bukavu, au Sud-Ouest de Bukavu ,dans le territoire de Walungu. Un centre agroécologique où des aménagements en cours seront poursuivis pour illustrer  au mieux  l’agriculture tropicale, l’agriculture multi-étagée,  des expériences de gestion de l’eau, de lutte intégrée,… On y retrouvera une collection des plantes à usages multiples, Jardins et Vergers d’Afrique s’y retrouveront représentés. Bref, un microcosme qui pourrait résumer la vie de l’homme, au moins dans sa dimension technique.

Ce centre sera ouvert aux organisations paysannes et toutes les autres couches sociales désireuses de s’y ressourcer. Nous y recevrons des jeunes, élèves et étudiants ou non, intéressés par les pratiques agricoles agroécologiques. Nous y organiserons des cycles de formation, à l’instar de ceux organisés par le passé dans différents coins d’Afrique avec Hugues, avec le même esprit, c’est-à-dire aux conditions modestes, compatibles avec les conditions paysannes sans grand luxe.

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Sylvain Mapatano de la Plateforme Diobass au Kivu – 2005

Interview sur l’avenir du pays pour le documentaire « Bukavu, ville d’entreprises » réalisé par 3TAMIS.